Qui êtes-vous ?
En tant que Chef de cuisine du restaurant L’Huile sur le feu, je suis responsable en cuisine de la création et la confection des plats ou repas de la cuisine. Ma brigade est composée de deux seconds et deux commis. Nous avons deux établissements, à Bruxelles et à Namur. Ma cuisine est de type méditerranéen, une fusion des saveurs venant de Grèce, d’Italie et du Maroc. Pour le reste, je suis née à Douala (Cameroun), deuxième enfant d’une joyeuse fratrie de dix. Je suis également maman de trois enfants dont les deux plus jeunes ont entamé l’année dernière des études en école supérieure.
Quel est votre parcours ?
Mon bac en poche, j’ai passé le concours d’entrée à la première école d’hôtellerie française du Cameroun. A l’origine, la cuisine n’est chez moi ni une passion, ni un hobby. Ce fût un énorme choc pour mes parents (surtout pour mon père qui m’imaginait déjà avocate, ingénieur ou docteur) auxquels je n’avais jamais donné le moindre signe que le monde de l’hôtellerie ou de la restauration pouvait m’intéresser ! J’ai fait mes classes dans de grands hôtels du Cameroun (comme le Hilton, le Parfait Garden…) et du Gabon. J’ai choisi de m’orienter vers la section restauration à cause du côté créatif de la cuisine. J’ai un tempérament très indépendant et cette liberté de création me correspondait totalement. J’ai travaillé très dur, j’ai décroché mon diplôme de restaurateur et j’ai ouvert à Yaoundé le Panoramique, mon premier restaurant, rencontre de la cuisine française et camerounaise. C’est à cette période que j’ai rencontré mon futur mari. Il était belge et vivait en Belgique. Sans trop hésiter, j’ai fermé le Panoramique et je l’ai suivi dans son pays. C’était en 2000. J’ai rapidement trouvé du travail à Bruxelles, mais j’ai dû faire face à pas mal de remarques racistes et sexistes. C’est assez difficile à accepter d’être obligée de démissionner parce que cela ne plaît pas à une certaine clientèle de voir une femme noire orchestrer en cuisine. De même, j’ai vu mes ordres discutés – parfois en plein coup de feu - par l’un ou l’autre homme faisant preuve d’un comportement puérilement machiste. C’est désespérant pour un chef de cuisine de ne pas être suivie par sa brigade !!! Heureusement, peu de temps après tout cela, ma route a croisé celle de mon actuel collaborateur principal. Il avait une boutique dans laquelle il vendait les produits Olivers & Co. L’idée était d’élargir les activités à la restauration, ce à quoi j’ai complétement adhéré ! C’est donc avec les huiles extraordinaires de cette marque que je cuisine tous les repas du restaurant. Je travaillais la journée à L’Huile sur le Feu, et le soir, je suivais des cours. J’estimais, en effet, que je devais apprendre à connaitre les goûts culinaires des belges. Cela a duré trois années. Un rythme de travail effréné et des enfants en bas âge à gérer, mais j’ai obtenu mon diplôme de chef d’entreprise « restauration et traiteur » à Infobo, à Uccle.
Quelle valeur ajoutée pensez-vous apporter à la société/votre entreprise en tant que professionnel africain ?
Nous recevons énormément de demandes de stage au restaurant. Quand j’en ai la possibilité, je retiens les candidats d’origine africaine. Je me rappelle à quel point cela peut être difficile d’intégrer ce monde pour un jeune issu de l’immigration. Je tente alors de leur donner une opportunité, de leur ouvrir une porte. Je tente d’inculquer à mes stagiaires le goût du travail, la passion de la cuisine.
Quelles attentes restent encore à combler, quels sont vos projets, ou vous voyez-vous dans 5, 10, 20 ans ?
Nous avons pas mal de projets à développer pour le restaurant. Je vis intensément cette période de ma vie et j’admets que je suis très épanouie. Mes enfants grandissent très bien et sont équilibrés. Mon restaurant marche convenablement et nous bénéficions de la confiance de nos clients qui sont de plus en plus nombreux.
Quels conseils, mises en garde donneriez-vous à un jeune (africain) qui ferait le choix de se lancer dans votre filière ?
Savoir bien cuisiner, être un chef cuistot, comme on dit, ne nécessite pas de don inné : j’en suis la preuve vivante ! La cuisine professionnelle exige du travail (beaucoup), de la rigueur (systématiquement), de la persévérance (en dose énorme) et une passion (totalement démesurée). L’apprenti - tout comme le confirmé - doit savoir être à l’écoute du client, car il vient en premier lieu pour passer un moment privilégié. Il faut être à l’écoute de sa brigade et savoir obéir aux ordres du chef comme un bon militaire. La créativité est une qualité importante pour s’épanouir dans ce travail. C’est malheureusement aussi un métier dont les (gigantesques) efforts consentis ne sont pas toujours récompensés. J’ai eu cette chance quelques fois, notamment en remportant le premier prix du guide Delta pour la cuisine fusion. J’ai été la première femme du Benelux à remporter ce prix. Ce fut une très belle récompense. A ce jeune qui s’intéresse au travail en cuisine, je lui dirais simplement : « Lance-toi ! Fais des stages ! Traîne dans les cuisines ! » . Ce n’est que comme cela qu’il ou elle pourra se rendre compte du niveau d’exigence et des sacrifices qu’implique ce travail. J’ai des horaires hallucinants ! Je sais à quelle heure je commence ma journée, mais quasiment jamais à quelle heure je serai au lit ! J’ai manqué pas mal de moments importants de la vie de mes enfants, j’y ai laissé mon mariage et mes amis proches sont principalement ceux que je connais depuis des siècles ! Mais je ne regrette rien car mon métier est véritablement la passion de ma vie.
Avez vous des contacts professionnels avec l'Afrique? Envisagez-vous un retour a court moyen ou long moyen ?
J’ai peu de contacts professionnels avec l’Afrique. Je n’envisage d’ailleurs pas de retour à moyen terme. D’une part, parce que je veux encore être présente pour mes enfants qui sont à l’université. D’autre part, parce que mon restaurant a encore besoin de moi. Nous faisons salle comble pratiquement tous les midis et tous les soirs à Namur. Et il y a encore tellement de projets à mettre en place. Mais plus tard, beaucoup plus tard, je pourrais envisager un retour. Un retour ça se prépare bien longtemps en avance, vous savez…Je pourrais repartir et, par exemple, ouvrir un bar à bières belges à Yaoundé ou à Douala…Qui sait ?
Quels sont les personnalités qui vous ont servi d'exemple dans votre parcours professionnel ?
Je suis une féministe dans le sens où je crois en l’égalité entre les genres et je défends la non-violence à l’égard des femmes. Ainsi, je me sens inspirée par toutes les femmes qui se battent au quotidien pour améliorer leur condition de vie ou tout simplement pour s’en sortir, pour construire leur vie et celle de leur famille. Cela va de Rosa Park, Simone veille ou Angela Davis, en passant par Oprah Winfrey ou la chanteuse Beyonce (absolument, oui !) en englobant toutes ces femmes qui meurtries par les guerres ou l’environnement déplorable où elles vivent parviennent malgré tout à se lever chaque matin pour créer un monde pour leurs enfants.